LA REPRISE EST LÀ, MAIS…

Cette crise sanitaire et économique des années 2020 pousse les entreprises à explorer de nouveaux marchés, à innover plus encore, à reconsidérer la manière de gérer leurs stocks, à commercer différemment et à envisager autrement leurs ressources humaines. L’État et les collectivités mettent la main à la poche pour accélérer ces mutations. Décryptage d’une reprise certes pas encore acquise, mais cultivée par des entrepreneurs conquérants.
Alors qu’elle imaginait une hausse de 5,5 % du Produit intérieur brut, la Banque de France table désormais sur une croissance de 5,75 % cette année. L’activité sera marquée par « un fort rebond aux troisième et quatrième trimestres, avec une progression soutenue de la consommation des ménages », prédit l’institution. Une projection quasi similaire à celle de l’Insee, qui anticipe une progression du PIB de 6 %, après la récession historique de 8 % l’an dernier et un maintien de l’inflation entre 1,5 % et 2,1 % l’année prochaine, en dépit des tensions actuelles sur le prix des matières premières.
Quant au marché du travail, il pourrait générer des créations nettes d’emplois significatives et un taux de chômage historiquement bas de 9 % en 2023. Ces deux organismes identifient quand même trois aléas sur ce scénario optimiste : le degré d’utilisation de l’épargne accumulée par les ménages, l’ampleur et la durée des tensions sur les tarifs des matières premières et une possible augmentation des difficultés de recrutement. Raison pour laquelle le Gouvernement ne lâche rien sur les aides et peaufine son nouveau plan d’investissement, chiffré à plusieurs dizaines de milliards d’euros et troisième étage de la fusée après les aides aux entreprises et le Plan de relance. Dans la foulée des 100 milliards d’euros déployés dans le cadre de France Relance (dont la moitié a d’ores et déjà été dépensée), une enveloppe de 30 à 70 milliards d’euros est annoncée pour prolonger les actions engagées et assurer le fameux « choc de réindustrialisation » voulu par le Président de la République. Modernisation des usines, transformation numérique ou encore transitions écologique et énergétique, les entreprises industrielles devraient largement bénéficier de ces mesures. Les autres secteurs ne sont pas omis grâce à la mobilisation des acteurs publics locaux !
FINANCEMENT : C’EST LE MOMENT !
« J’ai été conseillée par la CCI pour monter un dossier de demande de subventions d’investissement auprès de la Région Auvergne-Rhône-Alpes », témoigne Pauline Praire, une jeune femme de 24 ans, qui vient de reprendre l’entreprise familiale et ne compte pas se laisser malmener par les incertitudes économiques. Elle a engagé 60 000 euros pour changer les lignes de vie et les plateformes de son parc Cimes Aventure, situé non loin de Roanne, dont presque 20 % sur des fonds publics. Elle s’est aussi attachée à booster sa visibilité sur internet en suivant le programme Top Compétitivité de la CCI. Objectif : passer de 70 visiteurs par jour à 90, essentiellement des habitants de proximité assidus sur le net et sensibles aux avis Google. « Depuis deux ans, il faut redoubler d’efforts, dit-elle, mais on constate un retour à la vie normale. Les gens ont envie de bouger, de se changer les idées ; à nous d’être performants et inventifs pour répondre à leurs attentes ».


Comme Pauline Praire, Mickaël Potignon, gérant du restaurant Les Remparts, à Roanne, a opté pour l’offensive. En début d’année, il a lancé une rénovation complète de son établissement, des cuisines à la salle principale en passant par un doublement de la capacité de la véranda. « Nous avons été soutenus financièrement par la Région, l’État, la Ville de Roanne et la Carsat au titre de notre démarche de prévention des risques professionnels, indique le restaurateur. Le montage des dossiers prend du temps, mais cela vaut le coup. Nous avons pu travailler avec un architecte d’intérieur pour inscrire notre projet en cohérence avec l’identité du centre-ville, mettre en valeur les matériaux anciens et nous conformer aux nouvelles normes d’accueil du public ». Encore inquiet pour l’avenir et l’évolution des restrictions sanitaires, Mickaël Potignon concède par ailleurs une situation de l’emploi en grande tension : « Il se révélait déjà compliqué de trouver des collaborateurs motivés et compétents avant la crise ; c’est presque devenu mission impossible ! Nos métiers ne sont plus attractifs. Pour quatre postes à pourvoir avant l’été, nous n’avons reçu que quatre curriculum vitae ».
LES RH ET LE RECRUTEMENT AU CŒUR DE LA REPRISE
S’il est un constat partagé, c’est en effet que les problèmes structurels pesant depuis des années sur le marché du travail se voient considérablement amplifiés : difficultés de recrutement, dysfonctionnements de la formation professionnelle, inadéquation des compétences aux besoins, obstacles à la mobilité géographique ou professionnelle, difficultés d’insertion des jeunes… les PME-PMI-TPE sont évidemment les plus touchées ! Sur un secteur du tourisme en pleine reconquête, Tristan Daube, fondateur à 50 ans – et en plein marasme – d’une start-up proposant aux agences de voyages une application de conciergerie à distance pour leurs clients, a choisi de transformer les contrats de trois stagiaires et alternants en CDI.

« Le secret, c’est l’anticipation et la formation, dit-il. Car trouver le bon profil est un challenge, entre estimations des compétences, bien sûr, mais aussi du talent et de l’état d’esprit. L’alternance permet de prendre le temps de l’intégration et de l’adéquation aux pratiques et valeurs de l’entreprise. Je m’appuie aussi beaucoup sur le bouche-à-oreille positif de mes ex-collaborateurs et connaissances ». Un autre cheval de bataille pour ce patron, par ailleurs en plein closing d’une levée de fonds de 500 000 euros pour développer les algorithmes de ses solutions, est celui du retour au vivre-ensemble au sein de l’entreprise. Les mois de confinement et de télétravail ont marqué les esprits et les habitudes et il convient « de relancer une dynamique différente de celle vécue ces deux dernières années ». Trois journées de présence au bureau sont par exemple imposées dans l’immédiat.
Même constat dans l’industrie : « le recrutement en ce moment, c’est une catastrophe, assure Stéphane Moulin, patron de la brosserie industrielle décinoise, Quinton Decelers. Je recherche des opérateurs de production, que je ne trouve pas… Nous faisons donc appel à l’intérim, une solution onéreuse ».
FACE A L’ENVOL DU PRIX DES MATIÈRES PREMIÈRES, LA STRATÉGIE DU STOCK
Cette PME de 6 salariés et 1,1 million de chiffre d’affaires s’attache aussi depuis un an à chouchouter ses clients tout en développant son portefeuille d’affaires. « Depuis l’été, le redémarrage est réel, note le dirigeant. Certains secteurs d’activité performent même au-delà de nos espérances, mais l’enjeu central va être de sécuriser nos matières premières ». Les prix de l’acier, de l’inox et des polymères n’arrêtant pas de grimper, Quinton Decelers a constitué des stocks pour répondre à la demande, mais s’attend à des problèmes d’approvisionnement l’année prochaine. « Mes journées sont centrées sur cette question, poursuit Stéphane Moulin. Le prix est presque devenu secondaire, l’enjeu étant notre capacité à livrer dans les délais. Avec nos clients fidèles, nous rognons sur les marges, car il est crucial de ne pas profiter de la situation. Je le répète souvent à mes équipes : une entreprise dispute un marathon, pas un cent mètres. Notre force passe par notre réactivité et notre agilité ».


Sur ses terres stéphanoises, la Chaudronnerie Fine de la Loire (CFL) relève peu ou prou les mêmes enjeux. Non sans un certain sens de la formule, son dirigeant, Patrice Faivre Duboz, les résume ainsi : « Nous travaillons beaucoup, car de nombreuses entreprises profitent du Plan de relance pour se développer. Mais on ne trouve pas de personnel et on achète la tonne d’acier basique à 1 600 euros au lieu de 550. Certains en profitent, c’est certain ! Nous, on stocke pour ne pas prendre de risque, grâce à une trésorerie de fer ». Par ailleurs administrateur de Mécaloire, le cluster de la filière mécanique et métallurgique, Patrice Faivre Duboz s’impose en VRP du label et dispositif Production France, dont l’objet est d’aider les PME-PMI ligériennes à relocaliser leur production et leurs usines ou à moderniser leurs lignes de fabrication. « Nous vivons tous la même chose : une reprise, mais une reprise semée d’embûches, conclut-il. Il est important de se serrer les coudes et de faire circuler les bons plans, ainsi que les belles initiatives ».
UN ESPRIT DE CONQUÊTE TOUJOURS VIF
Alors que le climat des affaires s’améliore dans quasiment tous les secteurs et que le moral des chefs d’entreprise a retrouvé des couleurs, d’autres entendent surfer sur cette vague positive pour s’attaquer aux marchés internationaux. Business développeur de la start-up pharmaceutique Netri (Lyon), dont l’objectif est de se hisser au rang de leader mondial des organes sur puce utilisés pour la prédiction d’efficacité de divers traitements, Hugo Cochet annonce un investissement conséquent dans de nouveaux locaux de production. « Notre avenir passe d’abord par l’Europe, assure-t-il. Dès l’an prochain, nous nous implanterons commercialement au Royaume-Uni, en Suisse et en Allemagne puis nous installerons une succursale aux États-Unis à partir de 2023 ». Engagée dans le programme d’accompagnement Ambition Région International et en attente d’une aide à l’investissement dans le cadre de France Relance, Netri voit son portefeuille de clients étrangers prospérer : « La reprise est une réalité dans notre secteur ; nous signons aujourd’hui des ventes jusqu’au Japon ».


Pour sa part leader européen de la fabrication de biais et de galons fantaisie, AJ Biais (Saint-Étienne) réalise aujourd’hui 25 % de son chiffre d’affaires à l’export. Plus que centenaire, cette belle entreprise de savoir-faire vit la période actuelle dans un esprit de réinvention. Jusqu’ici axée sur les secteurs de l’habillement, la société s’émancipe en terre industrielle, pour l’aéronautique, le militaire, la santé, l’automobile. « Nous voulons nous imposer dans de nouveaux univers techniques, confie sa directrice commerciale, Estelle Helvadjian. D’où notre participation au programme Ambition PME Commercial depuis le mois de juin dernier, avec la CCI à nos côtés ». À la clé : un important travail sur la typologie des clients et l’intégration de nouveaux outils de pilotage commercial. Et en ligne de mire à moyen terme : une croissance de 20 % du chiffre d’affaires.
